Des rapports qu’entretiennent le Symbolique et l’Imaginaire chez Lacan
Mes chers lecteurs,
Nous allons aujourd’hui terminer notre exploration des rapports entre Imaginaire, Symbolique et Réel par une courte étude des liens qui articulent le Symbolique et l’Imaginaire. Ces deux registres, bien que distincts, sont intimement liés et entretiennent une dialectique complexe qui structure la psyché humaine.
Précédemment, nous vîmes que le Symbolique, ordre du langage et des significations partagées, offre un cadre structurant au sujet. Il l’inscrit dans une chaîne signifiante qui le précède et le dépasse, le définissant ainsi comme un être parlant. La loi du père, instance symbolique par excellence, introduit une interdiction fondamentale qui fonde l’ordre social et symbolique. Le complexe d’Œdipe est l’expérience par laquelle l’enfant s’y soumet, renonçant à l’objet d’amour incestueux pour accéder à l’identité sexuelle et à la place du sujet. L’Imaginaire, quant à lui, est le registre de l’image, des identifications et des relations duales. Il se constitue dès les premiers âges de la vie, lors du stade du miroir, où l’enfant se reconnaît dans une image extérieure et unifiée, qui lui donne l’illusion d’une identité stable. L’Imaginaire est aussi le lieu des rivalités et des luttes pour la reconnaissance, où l’autre est perçu comme un double avec lequel le sujet entretient une relation ambivalente. J’ ose ajouter que, selon moi, l’ Imaginaire est topologiquement le miroir du Symbolique : le lieu ou le signifié émerge du signifiant !
Ces deux registres, le Symbolique et l’Imaginaire, bien que distincts, sont intimement corrélés et entretiennent une dialectique complexe qui structure l’expérience subjective. Le Symbolique, en tant qu’ordre du langage et des significations partagées, impose une structure au désir, le canalise et le symbolise. Il offre un cadre signifiant qui permet au sujet de se situer par rapport à l’Autre et à la réalité sociale. La fonction paternelle, pilier central de l’ordre symbolique, introduit une interdiction fondamentale qui vient limiter le désir et le soumettre à la loi. Ainsi, le Symbolique, tout en structurant, castre le désir, le rend impossible à satisfaire pleinement. Voilà l’ origine de l’ errance des êtres contingents que nous sommes in hac lacrymarum valle !
L’Imaginaire, quant à lui, est le registre de l’image, des identifications et des relations duales. Il est le lieu d’une quête illusoire d’unité et de complétude, où le sujet se méprend sur son propre désir, le confondant avec l’image qu’il se fait de lui-même et de l’autre. L’Imaginaire est le siège d’une dynamique narcissique qui pousse le sujet à se référer constamment à l’image spéculaire de soi et à chercher dans l’autre un double ou un idéal du moi. Cette quête est vouée à l’échec, car l’image est toujours partielle et déformante. Le désir, moteur de la psyché, est à la fois produit et entravé par cette dialectique symbolique et imaginaire. Il naît de l’insatisfaction fondamentale du sujet face à la réalité et à l’impossibilité d’atteindre un objet de désir stable et définitif. Le désir est ainsi un désir de l’Autre, un désir d’être reconnu et aimé par l’Autre. Or, l’Autre, dans la perspective lacanienne, est lui-même scindé entre l’Autre de la demande, qui représente l’ordre symbolique, et l’Autre du désir, qui renvoie à l’inconscient et à l’imaginaire. Cette scission de l’Autre rend le désir impossible à satisfaire pleinement, le condamnant à circuler indéfiniment dans un circuit fermé. Ainsi, on peut constater que l’ arrivée dans le langage de celui qui va s’appeler sujet constitue une réduction dirimante.
Le symptôme névrotique, loin d’être un simple désordre fonctionnel, sera alors une formation de compromis qui témoigne de l’impasse dans laquelle se trouve le sujet. Il représente une tentative de résolution, certes défectueuse, du conflit entre les exigences du Symbolique et les pulsions de l’Imaginaire. Le symptôme est ainsi une métaphore de l’inconscient, une manière pour le sujet de dire ce qu’il ne peut pas dire directement. Il est le résultat d’une élaboration inconsciente qui vise à maintenir un équilibre précaire entre les différentes instances psychiques.
Ainsi, la subjectivité humaine émerge d’un processus dialectique incessant entre le Symbolique et l’Imaginaire, un entrelacement complexe où l’ordre du langage et des significations partagées se confronte à l’ordre de l’image et des identifications. Cette dialectique constitue le cœur même de la psyché, un champ de tension où se jouent les enjeux de l’identité, du désir et de la reconnaissance. Le sujet, loin d’être une entité unifiée et autonome, se constitue dans un rapport incessant à l’Autre, à la fois comme instance symbolique et comme objet d’un désir imaginaire. La psychanalyse lacanienne, en interrogeant les méandres de cet entrelacement, vise à déceler les mécanismes inconscients qui sous-tendent l’expérience subjective. En effet, le sujet n’a pas un accès direct à son inconscient, cet envers de la psyché où se nichent les pulsions, les fantasmes et les affects refoulés. C’est à travers l’analyse du langage, des actes manqués, des rêves et des symptômes que le psychanalyste peut tenter de déchiffrer les énigmes de l’inconscient et de mettre à jour les signifiants qui structurent le désir du sujet.
Le génie de Lacan fut de traduire cette subtile dialectique topologiquement. Et c’ est bien ce sur quoi nous nous pencherons dans notre prochain article. A bientôt !
Alexandre Bleus