L’articulation du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire chez Lacan : prélude à la topologie du noeud borroméen.
Continuons, chers lecteurs, si vous le voulez bien, notre périple au pays de la topologie lacanienne et, après avoir abordé deux figures centrales au sein de nos précédents articles, penchons nous un instant sur la structure qui est aussi et d’ abord le symbolique, le réel et l’ imaginaire.
Dans son exposé fondateur de 1953, “Le symbolique, l’imaginaire, le réel”, Lacan introduit la triade RSI comme cadre conceptuel pour appréhender la réalité humaine. RSI désigne trois registres distincts mais interdépendants qui structurent notre expérience du monde et de nous-mêmes. Sans compréhension profonde de ces trois concepts opératifs, on ne peut saisir correctement la pensée du maître.
Le Réel (R) représente l’insaisissable, l’impossible à symboliser, ce qui se situe hors du champ du langage et de la représentation. Il est souvent décrit comme “l’inconscient réel”, la dimension brute et chaotique de l’existence. Chez Hegel comme chez Lacan, il est irreprésentable car il est la logique. C’ est à dire la trame invisible, pour ainsi dire nouménale, qui organise la réalité.
Le Symbolique (S) est l’ordre structuré par le langage et les conventions sociales. Il englobe les systèmes de signification, les lois et les codes qui régissent notre communication et notre interaction avec le monde. Il est le champs du langage qui a définitivement altéré le rapport naturel de l’ humain au monde.
L’Imaginaire (I) est le domaine de la perception, de l’illusion et de la formation de l’identité. Il se caractérise par la relation duelle entre le sujet et l’Autre, et par la constitution d’une image de soi souvent idéalisée. Il est le lieu du fantasme car il est d’ abord le lieu des représentations.
Lacan va utiliser l’image d’un nœud borroméen pour illustrer l’articulation entre ces trois registres. Les trois anneaux du nœud sont entrelacés de manière telle que si l’on coupe l’un d’entre eux, les deux autres se détachent également. Cette métaphore met en lumière l’interdépendance fondamentale des trois dimensions : la structure de l’expérience humaine repose sur l’intrication du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. On notera que l’articulation entre ces registres est complexe et mouvante. Le sujet navigue constamment entre eux, et ce,en fonction de ses expériences et de ses interactions avec le monde. Il est important de noter que cette articulation n’est jamais harmonieuse : il y a toujours une tension, une faille entre les registres, ce qui peut générer des conflits psychiques et des symptômes. D’ ailleurs, la cure analytique vise à dénouer cette articulation pathologique et à permettre au sujet de reconstruire un rapport plus harmonieux au Réel, au Symbolique et à l’Imaginaire. Il s’agit d’un processus long et complexe qui implique de travailler sur les différentes dimensions de l’expérience du sujet en tenant compte de son histoire personnelle et de ses structures inconscientes.
L’introduction de la triade RSI par Lacan a, non pas révolutionné la théorie et la pratique psychanalytiques, mais plutôt porté les travaux relatifs à la seconde topique freudienne vers un nouvel accomplissement en les rendant visibles dans l’ ordre très spinozien de la géométrie. Elle a permis de conceptualiser de manière plus précise la complexité de l’expérience humaine et d’offrir un cadre pour comprendre les processus psychiques inconscients. Cependant, il est important de souligner que la conception de RSI a évolué au fil du temps dans l’œuvre de Lacan. Il n’a jamais cessé de revisiter et d’approfondir cette notion, en explorant ses différentes facettes et ses implications cliniques.
Ainsi, avant d’ aborder en profondeur la topologie borroméenne, permettez moi de revenir encore sur cette délicate articulation entre le Réel, le Symbolique et l’ Imaginaire.
Alexandre Bleus