Le tore est un dérivé de la sphère et ce n’est pas par hasard !
Après avoir quelque peu parlé voici plus d’une semaine du sujet-tore lacanien, interrogeons-nous sur les transformations topologiques que la sphère connaît afin de devenir un tore. Cette exploration nous permettra de saisir les implications géométriques de ce concept psychanalytique fondamental et d’apprécier la complexité inhérente à la structuration du psychisme au sein de la pensée lacanienne.
Une sphère est tridimensionnelle et est une surface familière et intuitive se présentant comme un objet clos et sans bord où chaque point est à égale distance du centre. En topologie, elle est définie comme une surface homéomorphe à une boule pleine c’est-à-dire qu’elle peut être déformée en continu en une boule sans déchirure ni collage. Le tore, en revanche, se caractérise par une structure plus complexe. Il s’agit d’une surface obtenue en identifiant deux points opposés du bord d’un rectangle. Cette identification crée un “trou” central, donnant au tore son aspect caractéristique de beignet.
Maintenant, afin de comprendre la transformation de la sphère en tore, il faut imaginer le rectangle comme un “patron” à partir duquel la sphère sera façonnée. En identifiant les deux points opposés du bord du rectangle, on crée un “tunnel” qui traverse la sphère, reliant deux points initialement distincts. Ce tunnel devient le trou central du tore. Cette identification topologique implique une modification fondamentale de la structure de la surface. La sphère, initialement sans bord, se dote d’un bord unique et fermé. Le tore, par conséquent, ne peut être déformé en continu en une sphère sans déchirure ou collage ! Voilà qui va nécessairement nous inciter à croire que d’ un côté nous aurions la représentation toute particulière d’ un sujet non analytique du côté de la sphère et celle d’ un sujet du langage du côté du tore ! On aura bien compris que le tore manifeste la perte de l’ objet a qui marque l’ entrée du sujet dans le monde, c’est à dire dans le langage.
La transformation de la sphère en tore met en lumière des propriétés géométriques importantes. Le tore possède une dimension de surface de 2, comme la sphère, mais il n’est pas orientable. Cela signifie qu’il n’est pas possible de définir une direction “vers l’extérieur” et une direction “vers l’intérieur” de manière cohérente pour toute la surface. Cette non-orientabilité du tore présente des analogies frappantes avec la structure du psychisme humain, telle que décrite par Lacan. Le tore lacanien, symbole de l’inconscient, est également non-orientable, reflétant la complexité et l’ambivalence des processus inconscients. Voilà une clef pertinente de lecture de cette géométrisation de l’ esprit puisque c’ est bien à cette oeuvre que Lacan procède dans les pas de Freud et de Spinoza.
En effet, Cette affirmation mérite une exploration plus approfondie afin de saisir pleinement les implications de la non-orientabilité du tore dans la représentation de l’inconscient.
La non-orientabilité du tore constitue un élément clé de sa puissance métaphorique car, bien entendu, cette propriété géométrique reflète parfaitement les caractéristiques fondamentales de l’inconscient tel que décrit par Lacan. L’inconscient étant un “lieu de vérité” où les signifiants ne sont pas ordonnés de manière linéaire, mais plutôt liés entre eux par des associations libres et parfois contradictoires, cette absence de structure orientable traduit la complexité et l’ambivalence des processus inconscients où les désirs et les représentations se mêlent et se confondent dans un enchevêtrement inextricable dicté exclusivement par les lois métaphoriques et métonymiques.
La non-orientabilité du tore signifie qu’il n’est pas possible de définir une “face” et un “revers” de manière cohérente pour toute la surface. Cette absence de distinction symbolise la nature insaisissable de l’inconscient, qui échappe aux catégories binaires du conscient et se présente comme un “entre-deux” énigmatique. L’inconscient lacanien n’est ni intérieur ni extérieur à l’individu, ni positif ni négatif. Il se situe dans une zone grise, un espace paradoxal où les contraires se confondent et où les vérités se cachent derrière des illusions. Il n’ est donc pas possible d’ y distinguer de manière dichotomique en harmonie avec la rigueur des syllogismes aristotéliciens. Et c’ est alors que l’ on comprend que c’ est en choisissant le tore comme métaphore de l’inconscient que Lacan met en lumière la complexité et l’ambivalence inhérentes à la structure psychique humaine. Le tore, avec sa non-orientabilité et son absence de structure linéaire, représente parfaitement l’inconscient comme un lieu de contradictions, de désirs refoulés et de conflits internes.
Mais alors, que serait un sujet dont la représentation serait celle d’ une sphère ? serait-ce un sujet ? Voilà la question que nous ne manquerons pas de nous poser dans notre prochain article…
Alexandre Bleus