Le sujet lacanien et sa forme topologique : le tore.
Continuons donc, chers lecteurs, notre petit cheminement au cœur de la topologie lacanienne. Je vous parlais, la semaine passée, du ruban de Moebius dont le bord est homéomorphe à un cercle et dont le paradoxe de la face unique qui, optiquement se laisse voir comme deux faces, symbolise les rapports entre l’ Inconscient et le conscient.
Dans son séminaire “L’identification” qui couvrait les années 1961 et 1962, Jacques Lacan utilisa, pour la première fois, la topologie du tore pour conceptualiser le sujet et son rapport à l’Autre et à la pulsion. Le tore, surface fermée en forme de beignet, nous offre ici une représentation abstraite et géométrique du psychisme humain. Très intéressant car le tore du sujet se caractérise par deux éléments clés : d’ une part, un trou central qui symbolise le manque, la castration, qui, bien sûr, est au cœur du désir inconscient car le sujet est en quête d’une complétude impossible, cherchant à combler ce manque par l’objet a, objet symbolique qui représente la satisfaction pulsionnelle. D’ autre part, la surface du tore représente le champ de la conscience et du Moi. Le sujet se construit et se structure sur cette surface, en s’identifiant aux signifiants qui le constituent. La surface représente bien le discours du Sujet de l’ Inconscient.
Notons que l’ objet a est un concept central dans la psychanalyse lacanienne. Il désigne l’objet du désir inconscient, objet qui est toujours Autre et inaccessible. Le sujet est en quête de cet objet, mais sa recherche conduit à un échec permanent et sans cesse répété car l’objet a n’ a laissé que la trace de sa perte originaire. La relation entre le sujet et l’objet a été représentée par la spirale qui se déroule sur la surface du tore. Cette spirale symbolise la métonymie du désir, qui se déplace constamment d’un objet à l’autre, à la recherche d’une satisfaction impossible.
Il me semble évident que la représentation torique du Sujet est excellente en ce sens qu’ elle souligne la finitude du Sujet confronté à la contingence que je me permets de définir comme la conscience de l’ infini qui sépare l’ Etre de langage de la totalité du monde dans lequel il se pose. Et cet infini est à la fois du côté de la surface convexe du tore que, paradoxalement, de sa surface concave. Oui, c’ est bien l’ infini qui nous sépare spatialement du monde, allusion discrète à la phrase pascalienne qui suggère que le silence (et la distance) des espaces infinis effraient. Quant à l’ infini relatif à la surface concave du tore, il est celui de l’ irréfragable perte de l’ objet petit a, de la fusion originaire, soit de ce qui pourrait faire de nous quelque chose de complet. Le tore manifeste dès lors une incomplétude fondamentale, celle de l’ être contingent au sens où Aristote l’ entendait.
Contingence matérielle en ceci que nous sommes une portion du cosmos, contingence formelle au sens ou nous sommes limités en terme volumique, contingence finale au sens où nous mourrons et, enfin, contingence efficiente au sens où nous sommes causés. Être “causé” est d’ ailleurs un terme très intéressant pour un être de langage ! Je fais bien sûr allusion aux quatre causes aristotéliciennes qui soulignent présentement les limites du sujet parlant.
Alexandre Bleus