L’implacable Réel !
Chers amis,
Dans la topologie élaborée par Jacques Lacan, nous vîmes que le Réel ne saurait être appréhendé isolément mais plutôt qu’ il s’inscrit dans une relation dialectique avec les deux autres registres de l’expérience humaine : le Symbolique et l’Imaginaire. Ces trois ordres, inextricablement liés, constituent la structure même de la subjectivité et déterminent les modalités d’interaction du sujet avec le monde et avec lui-même.
Pour faire bref, on peut dire que le Symbolique, pour Lacan, est le domaine du langage, de la loi, de la culture. Il est l’ordre de la signification, là où les mots et les symboles organisent notre expérience et lui donnent un sens. C’est par l’entrée dans le langage que l’enfant accède à la dimension symbolique et devient sujet. Le Symbolique est aussi l’ordre de l’interdit, de la castration, qui limite le désir et le soumet à la loi du père.
L’Imaginaire, quant à lui, est le domaine de l’image, de la représentation, de l’identification. C’est l’ordre du moi, où le sujet se construit une image de lui-même à travers le regard de l’autre. L’Imaginaire est aussi l’ordre du fantasme où le sujet tente de combler le manque et de retrouver une unité perdue.
Face à ces deux ordres, le Réel se présente comme ce qui résiste à la symbolisation et à l’imaginaire. Il est l’impossible à dire, l’irreprésentable, l’irréductible à toute forme de maîtrise. Le Réel est le lieu du trauma, de la perte, de la castration. Il est ce qui fait retour dans notre vie sous la forme du symptôme, de l’angoisse, de la répétition.
Ces trois ordres (Réel, Symbolique et Imaginaire, le fameux trio RSI) ne sont pas séparés mais s’interpénètrent et se conditionnent mutuellement. Le Symbolique structure l’Imaginaire et tente de maîtriser le Réel. L’Imaginaire donne une forme au Réel et cherche à le combler. Le Réel, quant à lui, fait irruption dans le Symbolique et l’Imaginaire, les déstabilisant et les mettant en crise. Cette dialectique des trois ordres est au cœur de la formation du sujet et de sa relation au monde. Le sujet est pris dans un jeu constant entre ces trois ordres, cherchant à trouver un équilibre précaire entre le désir et la loi, entre l’illusion de la maîtrise et la confrontation avec l’impossible.
Le Réel, en tant qu’impossible à symboliser et à imaginer, constitue un point de butée pour le sujet. Il est ce qui résiste à toute tentative de totalisation, de clôture, de maîtrise. Le Réel est ce qui nous rappelle notre finitude, notre incomplétude, notre contingence. Si la réalité, comme le dit Lacan, n’ est qu’ un fantasme, le Réel en est le bord irréfragable !
C’est dans cette confrontation avec le Réel que le sujet peut accéder à une véritable subjectivation. En acceptant l’impossible, en reconnaissant la limite, le sujet peut se dégager des illusions de l’Imaginaire et des aliénations du Symbolique. Il peut alors accéder à une forme de liberté, une capacité à inventer sa propre réponse face à l’incontournable réalité du Réel. Toute pathologie trouve sa genèse dans un dérangement du sujet relativement au Réel, à cette limite qui signe, en fait, la contingence de l’ existant qu’ est l’ humain. L’ humain est malade de sa finitude et le Réel, dans son inflexible logique, vient lui rappeler qu’ il n’ est qu’ un être contingent.
Le Réel, s’il est un point de butée, est aussi une source de création. C’est dans la confrontation avec l’impossible que le sujet peut inventer de nouvelles formes de symbolisation, de nouvelles modalités d’existence. Le Réel est ce qui pousse le sujet à se dépasser, à créer, à innover. Et c’est dans cette perspective que Lacan parle de la sublimation comme une manière de transformer la jouissance du Réel en une création artistique, intellectuelle, ou sociale. La sublimation est une façon de répondre au Réel, non pas en le niant ou en le fuyant, mais en le mettant au travail et en le faisant servir à une production qui enrichit le sujet et le monde. Le Réel est donc bien ici la cause efficiente de plusieurs symptômes : de la psychose causée par la forclusion, de la névrose causée par un désir irrationnel de maîtrise totale, enfin, de la sublimation menant à la création.
Il me semble que l’ humain n’ est finalement toujours malade que d’ un défaut de logique. En effet, si le Réel est la logique (au sens hégélien du terme), tout ce qui s’ en distancie (le symbolique et l’ Imaginaire) en violant ses règles implacables est d’ ores et déjà pathos.
Alexandre Bleus